Par contre, il n'y a pas d'étoile dans le ciel

Tout en conduisant, il avait lâché : "par contre, il n'y a pas d'étoile dans le ciel". Elle avait hoché la tête en s'amusant de cette manie qu'il avait de prendre son élan en ajoutant des "par contre" à l'attaque de ses phrases, comme pour se donner du courage, du temps. "Par contre, j'ai mal calculé mon coup, nous ne serons pas arrivés pour minuit". Elle l'avait rassuré en riant, 2014 pouvait bien les attendre quelques minutes, et puis ils n'avaient jamais rien fait comme les autres. 

En circulant dans les rues, elle s'était intéressée aux passants. Pas ceux qui portaient déjà haut et fort les couleurs des festivités ambiantes, pas ceux qui pressaient le pas, les bras chargés, probablement en retard chez leurs hôtes. Plutôt ceux qui lui avaient semblé faire de ce 31 décembre un jour résolument ordinaire, ceux qui marchaient, banalement. Elle avait trouvé ceux-là presque rassurants, de fait. 

À 23 h 54, ils avaient longé les baies vitrées d'un restaurant et elle avait eu le temps de constater comme les clients attablés attendaient sagement les douze coups de minuit, le nez dans leur dessert, avant l'heure ce n'était pas l'heure. Plus loin, en observant les lumières qui filtraient derrière les fenêtres des maisons individuelles, elle s'était amusée de croire qu'en cette fin de soirée, toutes ces lumières éclaireraient les mêmes visages, tous s'apprêtant à lever leur verre pendant la même seconde. Les lumières de toutes ces fenêtres à l'unisson, ce serait bien la seule seconde de l'année où elle imaginerait aussi facilement la vie des autres.  Parfois elle avait pu distinguer des silhouettes derrière les rideaux. Les guirlandes de Noël, dans les jardins, n'avaient pas encore été retirées, et continuaient de clignoter impatiemment comme pour être les premières à lancer le traditionnel décompte.  

 À 23 h 59, sur le poste autoradio, la voix chaude de Billy Paul leur avait caressé les oreilles avec Your song, et ils avaient basculé avec lui dans la nouvelle année.